On peut en effet devenir complètement maître du cours de sa vie. Il suffit pour cela de ne rien prévoir, ne rien envisager, ne rien faire. À peine levé, on se laisse envahir par l'instantanéité paralysante et il suffit de se concentrer sur les perspectives qui s'offrent à soi à ce moment précis et pas plus loin que pour l'heure qui suit pour se rendre compte qu'il est tout à fait possible de se créer une existence d'une vacuité parfaitement maîtrisée.
Bien sûr, bien sûr, on me rétorquera qu'on trouve toujours un petit coup de balai à passer, un bout de chauffe-eau à réparer, une facture à payer, une thèse à rédiger, l'ampoule du couloir à remplacer, bref cette foule de tâches super chiantes qu'on laisse toujours au bout de la liste pour le jour, où vraiment, alors vraiment, on ne peut plus y couper. Oui mais.
Oui mais si vous vous pliez à l'exercice depuis quelques semaines, c'est à dire globalement si vous êtes au chômage, il ne vous aura pas échappé à quel point remplir sa journée de petites tâches super chiantes revêt un côté, comment dire... un tant soit peu inintéressant. En outre, au bout d'un moment, malgré son acharnement (ou peut être à cause de lui), on arrive au bout de ces petites persécutions du temps libre. Et alors vous voilà devant un fait nouveau, d'une incroyable limpidité : vous n'avez plus rien à faire.
Rien. Pas rien sur le long terme, on peut toujours se trouver une langue à apprendre, une collection débile, un projet à entreprendre. Non, rien à faire là, tout de suite, dans l'heure qui suit et qui s'annonce un rien angoissante, d'autant plus qu'il n'en reste pas moins d'une dizaine avant de pouvoir aller se coucher sans que cela passe pour un aveu de désœuvrement total et dégoûté.
Tout le jeu consiste alors, sans peur du ridicule, à ordonner, planifier, gérer, minuter son Rien comme le casse du siècle, la réservation de la grande salle de la Mairie un samedi de juin, un discours improvisé lors d'un départ en retraite d'homme politique, une grille d'horaire de la SNCF.
Ça pourrait donner ça :
De 8 à 10 : Rien
De 10 à 12 : Pas grand chose, des transitions douces, c'est important.
De 12 à 14 : repas + vaisselle
De 14 à 15 : café. Tiens, si j'essayais de moudre les grains à la main ? Et si je faisais pousser mon propre café ? Et relire pour la 40e fois le dos du paquet ? Je pourrais l'apprendre par cœur, mais il doit y avoir des choses plus intéressantes.
De 15 à 17 : Oh ! C'est l'heure de la sieste. Je ne suis pas très fatigué, mais respectons scrupuleusement le planning.
De 17 à 19 : glande
De 19 à 20 : promenade à la fraîche. Bizarre comme les gens ont l'air occupé, EUX.
De 20 à 21 : sustentation reconstituante suite à promenade.
De 21 à 22 : attente de 22h
22h : coucher possible, sans aveu de désœuvrement : la journée a été dure, et demain, je vous en parle même pas !
Morale : On ne travaille pas pour vivre, mais pour oublier que c'est une activité des plus angoissantes.
Suite dénuée d'intérêt au prochain épisode d'un ennui complet.